Culture et entrepreneuriat en Afrique, deux faux amis ?

Article : Culture et entrepreneuriat en Afrique, deux faux amis ?
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8 juillet 2016

Culture et entrepreneuriat en Afrique, deux faux amis ?

En naviguant par hasard sur les réseaux sociaux, j’ai découvert une publication qui m’avait particulièrement interpellée. C’était celle d’Ahmed Hassan ZEWAIL, un chimiste égyptien qui avait reçu le Prix Nobel de Chimie en 1999. Il déclarait je cite:

« L’occident n’est pas plus intelligent que nous, sauf que dans la culture occidentale, ils soutiennent celui qui échoue jusqu’à ce qu’il réussisse, et nous on massacre celui qui réussit jusqu’à ce qu’il échoue »

 

 

Une citation très critique mais à la fois pleine de sens.

Je constatais par la même occasion, que je n’étais pas la seule à qui cette citation avait pu faire un effet. C’est ainsi que je découvrais sur la page en ligne d’un réseau d’entrepreneurs, que je me réserve le droit de mentionner, une problématique très intéressante : « la culture n’est-elle pas un obstacle pour l’entrepreneur ? »

Une question très intéressante poussant à la réflexion, et pour laquelle je choisis d’y consacrer un article autour de deux axes complémentaires centré sur le continent africain.

 

 

A : le manque de culture d’entreprise :
Lors d’un précédent billet, j’avais eu l’occasion de traiter des différents facteurs de freins à la promotion de l’entrepreneuriat sur le continent africain. Et il s’avère que parmi ces freins, on y retrouve: la culture d’entreprise qui est peu ou pas développée.
Si l’on prend la définition à proprement parler du mot culture, d’après une source tirée du dictionnaire Larousse, on peut comprendre que la culture se définit comme étant

« l’ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe ethnique ou une nation, une civilisation, par opposition à un groupe ou une autre nation ».

Et en occurrence, la culture africaine est très riche et variée. Le continent africain compte environ 55 états et une diversité culturelle immense qui peut différer au sein d’un même pays. Une culture donc très ancrée dans la tradition et qui relève de groupes ethniques ayant pour la plupart conservé leurs coutumes, dialectes, religions, croyances….

Malgré l’évolution du monde et des sociétés, on trouve encore dans différents pays d’Afrique des cultures ancestrales très marquées, notamment dans les zones dites « reculées » ou rurales ».
Pour en revenir à la citation du célèbre chimiste égyptien, je retrouve personnellement, une part de vérité. La différence dans l’évolution des mentalités complique certaines choses.
Qui n’a pas été confronté à des situations complexes liées aux différences de mentalités entre l’Afrique et les autres continents ?

Pour cela, je fais un focus sur les nouvelles générations  et plus précisément celles des jeunes issus de la diaspora exprimant le souhait de retourner occasionnellement ou définitivement dans leur pays d’origine ou de celui de leurs parents.

Si je prends l’exemple du Tchad, ce pays cher à mon cœur et dont je suis originaire, il était assez rare à l’époque d’entendre un jeune dire qu’après ses études il se lancerait dans l’entrepreneuriat. Ce n’était, en effet pas quelque chose de courant.

Travailler pour soi ? Créer sa propre entreprise ? Devenir autoentrepreneur ? Et de surcroît en tant que femme…chose quasi inexistante voire même impossible auparavant. Et pourtant les femmes sont celles qui s’orientent le plus dans des secteurs informels pour pouvoir espérer subvenir aux besoins de leurs familles.

J’entends encore aujourd’hui bien souvent dire que la femme ne devrait pas trop tarder à se marier de peur de se voir « finir vieille fille » si elle se focalisait trop sur son parcours académique et professionnel.

Le Schéma classique d’une jeune fille était qu’elle serait destinée à être mariée avec des enfants dans un foyer, alors pourquoi espérer aller de l’avant.

Mais heureusement, que certains jeunes, notamment jeunes femmes bousculent les mentalités et prennent le risque de changer ces clichés en prouvant qu’il n’est en rien impossible d’entreprendre tout en ayant une vie de famille épanouie.  Ou bien encore créer sa propre activité et réussir à en vivre.

La nouvelle génération d’entrepreneurs s’évertue à prouver qu’il est tout à fait possible de casser les codes de la culture traditionnelle en Afrique et de réussir à entreprendre, quoi qu’il arrive. Elle joue donc un rôle fondamentale dans l’évolution des mentalités et des cultures.

 

B : le désir de détruire celui qui y arrive :

Cela peut sembler un peu trop fort, mais la citation d’ Ahmed Zewail illustre ceux que j’appelle « les destructeurs d’avenir ».

Jusqu’aujourd’hui encore en Afrique, on a bien souvent du mal à soutenir, à accompagner où à promouvoir la personne qui ose et qui choisit d’entreprendre au lieu d’être assisté ou de compter sur les membres de sa famille. On a malheureusement tendance la plupart du temps à l’enfoncer et plus grave encore parfois même à l’éliminer : un problème nocif récurrent et à éradiquer d’urgence. Mais c’est à se demander si cela est ancré dans nos cultures ou si les cultures ancestrales encore trop présentes ont participé à créer ce phénomène dangereux.

Depuis mon enfance, on m’avait toujours évoqué la solidarité, comme une qualité majeure et très présente en Afrique, surtout du temps de nos aïeuls. Mais pourquoi aujourd’hui, la société en évoluant n’a pas pu et su garder cette qualité?
Je me dis que ceci pourrait s’expliquer notamment par la promotion de l’individualisme en lieu et place du communautarisme, de la solidarité. Tous les maux vécus en Afrique devraient au contraire nous aider à nous unir mais le culte de l’individualisme nous pousse à nous recentrer sur nous même, parfois même pire à prendre plaisir en voyant l’autre dans une difficulté. Or nous savons bien que comme dirait le dicton : « l’union fait la force ».

Mais comment se fait-il qu’en Occident, où justement cette culture de l’individualisme est beaucoup plus marquée, l’on ait des personnes qui soient accompagnées, promues et mise en avant lorsqu’elles initient des projets par exemple ?

Un des éléments de réponse qui me vient à l’esprit serait de dire, qu’on assiste de plus en plus à une promotion accrue de ce que l’on appelle « les réseaux ». Bons nombres de populations africaines ou d’autres origines vivant à la diaspora se regroupent en réseaux en fonction de leurs intérêts pour réfléchir ensemble à des solutions de développement pour leurs continents respectifs.

Je peux notamment citer quelques-uns qui œuvrent pour le développement économique et professionnel : Collectif OSER L’Afrique, le Réseau EFEPA (pour les entrepreneurs professionnels et entreprises de France et d’Afrique), le Réseau des entrepreneurs ivoiriens de la diaspora, AFAP (Association Femmes Africaines & Pouvoir), mais également des réseaux qui se créent au sein même des pays tels que par exemple au Tchad : le Réseau des jeunes pour le Développement et le leadership au Tchad, l’Union des jeunes entrepreneurs Tchadiens (UJET) ou encore le Réseau des jeunes leaders et Innovateurs du Tchad…pour ne citer qu’eux.

Ces réseaux qui se créent en fonction d’intérêts communs participent efficacement au développement du continent et des populations locales.
C’est à voir que le diction « l’union fait la force » entre de plus en plus dans les mœurs et l’entrepreneuriat y participe activement et positivement.
On devrait en Afrique, promouvoir davantage cette culture du travail et du mérite et bannir toute image de facilité. Ne dit-on pas là aussi que seul le travail paie? Les nouvelles générations se doivent de savoir que le chemin qui mène à la réussite n’est certes pas facile, mais tellement méritant et libérateur. Et quand je parle de cela, je fais notamment références aux jeunes femmes africaines, et de surcroît Tchadiennes.
Dans un proverbe sénégalais particulièrement, on dit je cite:  » pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village« ?

Alors pourquoi ce proverbe ne s’appliquerait pas autant pour la culture d’entreprise.
Si je puis me le permette, je dirai que « pour qu’un entrepreneur ose et réussisse, il faut tout un réseau » et je rajouterai dans le même sens que pour « pour que tout un pays se développe, il faut soutenir les créateurs car ils sont vecteurs de croissance et de développement ».

On a donc besoin de créer cet écosystème entrepreneurial pour ainsi voir émerger de jeunes profils qui osent, qui travaillent et qui prouvent que tout est possible à « qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

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Commentaires

Job Peter
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Ton article est très pédagogique. Cela ne se diffère malheureusement pas trop d'Haiti. Tes propositions font du sens et méritent une prise en compte.

Sandrine NAGUERTIGA
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Bonjour et Merci beaucoup pour ton retour. Je suis contente de voir que cet article a pu susciter un intérêt chez certains d'entre vous. C'est en effet un sujet qui touche bon nombres de pays et pour lequel on espère des évolutions positives. Merci encore et bonne suite.

Guy Muyembe
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Il faut aussi mettre en exergue la question du manque des moyens pour les jeunes entrepreneurs. Il n'y a pas que la culture qui constitue un frein. Mais également le déficit de formation à l'entrepreneuriat. Figure toi que chez moi au Congo, c'est seulement il y a 6 ans que le cours d'entrepreneuriat a été introduit à l'université.

Sandrine NAGUERTIGA
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Merci pour ta remarque Guy. Cependant, comme je le disais dans l'article, j'avais, dans un précédent billet évoqué différents freins à la promotion de l'entrepreneuriat en Afrique et bien entendu l'aspect financier était l'une des principales causes. Cependant, étant donné que mon article portait sur "la culture", je me devais de plus me focaliser sur cet aspect.
Si je prend l'exemple du Tchad, mon pays d'origine, il n'existe, en ma connaissance, aucun cours sur l'entrepreneuriat de dispensé dans les écoles ou universités. Ce n'est que maintenant que cette promotion de la culture entrepreneuriale prend tout son sens. Merci encore pour tes remarques constructives ainsi que pour l'intérêt porté à mon article.